lundi 29 août 2016

LA LOI TRAVAIL ET LE LICENCIEMENT ECONOMIQUE EN VIGUEUR DEPUIS LE 8 AOUT

Licenciement

La loi « Travail » veut objectiver la définition du motif économique de licenciement
Les dispositions de la loi « Travail » relatives au licenciement économique entreront en vigueur le 1er décembre 2016 (loi 2016-1088 du 8 août 2016, art. 67-II, JO du 9).

La loi met à plat la liste des motifs économiques de licenciement en inscrivant dans le code du travail les motifs reconnus par la jurisprudence (c. trav. art. L. 1233-3 modifié au 1.12.2016). Elle ajoute ainsi aux deux motifs déjà inscrits dans le code (difficultés économiques et mutations technologiques) :
  • la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
  • la cessation d’activité de l’entreprise.
Comme auparavant, cette liste n’est pas fermée. En effet, le licenciement pour motif économique peut être consécutif « notamment » à l’un de ces quatre motifs, ce qui laisse le champ libre au juge pour reconnaître d’autres motifs de licenciement économique, le cas échéant.

La loi définit en outre le motif tiré des « difficultés économiques ». Ces dernières se caractérisées par l’évolution « significative » d’au moins un indicateur économique tel que (c. trav. art. L. 1233-3 modifié au 1.12.2016) :
  • une baisse des commandes ;
  • une baisse du chiffre d’affaires ;
  • des pertes d’exploitation ;
  • une dégradation de la trésorerie ;
  • une dégradation de l’excédent brut d’exploitation ;
  • ou tout autre élément de nature à justifier des difficultés.
Pour ce qui est des difficultés caractérisées par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, la loi pose pour principe qu’une « baisse significative » est constituée dès lors que la durée de « cette baisse » est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
  1. trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
  2. trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;
  3. trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;
  4. -trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.
Loi 2016-1088 du 8 août 2016 (art. 67), JO du 9


lundi 22 août 2016

PRISE DE RISQUE ET ACTE ANORMAL DE GESTION

LA PRISE DE RISQUE EXCESSIF N’EST PLUS UN CRITÈRE DE QUALIFICATION (CE 13/07/2016)

Légifrance - 13/07/2016

Une décision notamment favorable au placement de la trésorerie de société d’exploitation et/ou soumise à l’IS


Contexte
Les sociétés sont tenues de se conformer à un acte de gestion commerciale dite « normale ».
L’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise, ou qui prive la société d’une recette, sans être justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale.
L'acte anormal de gestion n'est pas opposable à l'administration qui est en droit de refuser la déductibilité fiscale de la dépense ou d'imposer la recette à laquelle l'entreprise a renoncé.

Le Conseil d’État jugeait qu’une prise de risques excessive constitue un acte anormal de gestion. Dans un arrêt du 17 octobre 1990, il jugea qu’un risque pris par un dirigeant d’entreprise, qui devient excessif au fil des années, constitue un acte anormal de gestion.
Le Conseil d’État vient d’abandonner cette position dans un arrêt du 13 juillet 2016.

Faits et procédure
- L’agence de Strasbourg de la société anonyme Monte Paschi Banque a consenti à la société KMX Technologie d’importants concours financiers entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004.

Au titre des exercices clos en 2003 et 2004, elle a constitué des provisions pour risque de non-recouvrement de ces créances.
  • A l’issue de la vérification de comptabilité dont la société a fait l’objet, l’administration fiscale a réintégré dans le résultat de l’exercice clos en 2004 une somme de 7 560 500 euros correspondant à une fraction de la provision constituée à hauteur de 11 237 561 euros, au motif que la SA Monte Paschi Banque n’avait pas agi dans le cadre d’une gestion commerciale normale.
La Cour administrative d’appel de Versailles a confirmé les jugements des 6 octobre 2011 et 6 décembre 2012 par lesquels le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes de la SA Monte Paschi Banque tendant à la décharge des impositions supplémentaires.
Elle a considéré que les concours financiers octroyés constituaient un acte étranger à une gestion commerciale normale insusceptible d’ouvrir droit à la comptabilisation d’une provision déductible du bénéfice imposable, relevant que l’ensemble des circonstances de l’espèce devait être regardée comme révélant une « prise de risque inconsidérée de la banque ».
  • - Le contribuable s’est pourvu en cassation.
Arrêt
  • Le Conseil d’État rappelle le principe de l’acte anormal de gestion appliqué aux provisions : « ne peuvent être déduites du bénéfice net passible de l’impôt sur les sociétés les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges étrangères à une gestion commerciale normale. »
  • Il énonce néanmoins que le champ d’application de l’acte anormal de gestion doit être restreint.
« C’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale. Indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n’appartient pas à l’administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats. »
  • Par conséquent, le Conseil d’État juge qu’ « En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait seulement de rechercher si les décisions en cause étaient conformes à l’intérêt de l’entreprise, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’ampleur des risques pris, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé. »

DONATIONS PARTAGES EVALUATION FISCALE

LES DONATIONS PARTAGES DOIVENT ÊTRE ÉVALUÉES POUR LEUR VALEUR RÉELLE AU JOUR DE L'ACTE OU A UNE DATE POSTÉRIEURE SI LES PARTIES L'ON PRÉVU (CAS 25/5/2016 - RM 7/6/2016)

Ministère de la Justice - 07/06/2016

Les biens sont évalués selon leur valeur réelle au jour de la donation-partage. Une date différente peut être retenue mais celle-ci ne peut être que postérieure à l’acte.


Rappel
Les biens donnés lors d’une donation-partage relèvent d’un régime dérogatoire. Leur valeur est en effet figée au jour de la donation-partage sous la double condition que tous les héritiers aient reçu un lot et qu’il n’est pas été prévu de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.
Les biens donnés lors d’une donation-partage relèvent d’un régime dérogatoire. Leur valeur est en effet figée au jour de la donation-partage sous la double condition que tous les héritiers aient reçu un lot et qu’il n’est pas été prévu de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.
L’intérêt de cette disposition est d’éviter la réévaluation des biens postérieurement à la donation-partage et garantir ainsi la stabilité de l’acte. Chaque donataire-copartagé conserve les plus ou moins-values réalisées depuis la donation.
L’enjeu de cette évaluation réside dans le calcul de la réserve et a donc un impact sur le calcul d’une éventuelle indemnité de réduction.

Analyse
Rappel de la Cour de cassation
La valeur des biens est figée au jour de la donation-partage, mais cette évaluation est contestable si  la valeur énoncée dans l’acte n’est pas la valeur réelle des biens au jour de la donation-partage.

Cette précision de la Cour de cassation permet d’éviter les sous-évaluations (ou surévaluation) ayant pour but de créer une inégalité économique entre les héritiers, voire de les priver de leur réserve héréditaire.

Précision apportée par la réponse ministérielle
Le gel de la valeur des biens au jour de la donation-partage n’est pas impératif. Il est en effet possible de retenir une autre date d’évaluation.
Selon la réponse ministérielle, cette possibilité prévue par la loi, a pour objectif de prendre en compte la fluctuation de valeur des biens et ne permettrait de prendre en compte que les variations postérieures pour le calcul de la réserve.
Or, l’hypothèse soumise au Ministre de la Justice est celle d’une date antérieure à la donation-partage. Un donataire a réalisé des travaux importants à ses frais, anticipant sur une donation-partage. Les parties conviennent de retenir la valeur du bien avant les travaux afin de conserver l’égalité entre les donataires. Cependant cette égalité ne peut être garantie par l’article 1078 du Code civil selon la réponse ministérielle.
Le ministère reste néanmoins prudent puisqu’il livre son interprétation « sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions » et précise, qu’en tout état de cause, le principe d’unicité requiert de retenir une seule et même date pour tous les biens transmis dans une même donation-partage.

Opter pour une évaluation postérieure à l'acte de donation-partage
L'intérêt d'une donation-partage est de figer la valeur au jour de l'acte. Quel serait alors l'utilité de réaliser une donation-partage dont la valeur serait fixée à une autre date que celle de l'acte ?
Il y en a peu si la date retenue est celle du décès puisque ces donations seraient réévaluées au jour du décès et la liquidation serait semblable à celle d’une donation ordinaire (la donation-partage permettrait seulement de garantir les copartagés des troubles ou évictions procédant d’une cause antérieure au partage conformément à l’article 884 du Code civil et de bénéficier du privilège des copartageants des articles 2374 et 2381 du Code civil).
Si l’on retient en revanche une autre date, entre le jour de la donation et le jour du décès, cela permet de tenir compte d'une évaluation postérieure à la donation sans devoir repousser la donation pour autant (par exemple il sera possible de transmettre dès aujourd'hui un terrain qui a vocation à devenir constructible d'ici quelques années en tenant compte de cette réévaluation).
Encore faut-il que cette date soit déterminable au jour du règlement de la succession. Cette date ne doit pas non plus être hypothétique puisque, à défaut de réalisation de l’hypothèse, aucune date ne sera fixée pour l’évaluation et la donation serait alors évaluée au jour du décès (l’évaluation au jour de la donation-partage ayant été écartée par une convention contraire des parties).

CESSION PARTS STE SEMI TRANSPARENTES ARRET QUEMENEUR

LA JURISPRUDENCE QUÉMENER NE S’APPLIQUE PAS LORSQUE LES BÉNÉFICES ONT ÉTÉ EXONÉRÉS (CE 06/07/2016)

Légifrance - 06/07/2016

La majoration du prix de revient des parts de société « semi-transparente » ne s’applique que pour éviter une double imposition… Les bénéfices qui n'ont pas été imposés ne peuvent donc pas être pris en compte.


Contexte
L’une des caractéristiques des sociétés de personnes, dites « semi-transparentes », réside dans l’imposition des bénéfices au nom des associés quelle que soit l’affectation des résultats (distribution ou mise en réserve). En l’absence de distribution de bénéfices, un risque de double imposition des associés pourrait donc se présenter lors de la cession des parts.
C’est pour cette raison que le célèbre arrêt Quémener (CE 16 février 2000 n° 133296, SA « Établissements Quémener ») prévoit que le prix de revient de ces parts est constitué par la valeur d’acquisition :
  • Majorée de la quote-part des bénéfices de la société de personnes revenant à l’associé et imposés entre ses mains et des pertes comblées par l’associé ;Diminuée des déficits que l’associé a déduit et des bénéfices ayant donné lieu à une distribution au profit de l’associé.
  • Cette jurisprudence a été étendue par l’administration fiscale pour calculer la plus-value dégagée du fait de la dissolution sans liquidation d’une SCI par un rescrit n°2007/54 du 11 décembre 2007 : « Cette plus ou moins-value professionnelle, qui suivra le régime du court terme ou du long terme selon la durée de détention des titres, doit être déterminée conformément à la jurisprudence du Conseil d’État du 16 février 2000, à partir du prix d'acquisition des parts majoré du montant des bénéfices imposés et des pertes comblées par l'associé et minoré des bénéfices distribués et des pertes subies. Ainsi, pour la détermination des plus ou moins-values d'annulation de parts de la SCI consécutive à la dissolution de ladite société, leur prix d'acquisition sera déterminé en tenant compte de l'ensemble des résultats fiscaux et des flux financiers (distributions de bénéfices et comblements de pertes) intervenus entre la date de leur acquisition et la date de leur annulation, y compris la plus-value constatée sur les biens immobiliers composant l'actif de cette société à l'occasion de la réévaluation de ce dernier. »
La présente affaire commentée a trait à l’application de ce mécanisme dans le cas où les bénéfices non pas subis d’imposition.

Faits et procédure
  • Deux SARL françaises, les sociétés Lupa Immobilière France et Lupa Patrimoine France ont, en date du 28 mars 2006, acquis de leur société mère, installée au Luxembourg, les titres de SA de droit luxembourgeois détenant les titres de SCI de droit français, lesquelles détenaient chacune un immeuble ;
  • Les deux SARL ont procédé à la dissolution des SA avec transmission universelle de patrimoine après que ces dernières aient réévalué la valeur des parts de SCI en date du 29 mars 2006. Le produit en résultant n’a toutefois pas été imposé en France en vertu de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 ;
  • En date du  30 mars 2006, les SCI ont procédé à la réévaluation libre de la valeur de leurs immeubles, ce qui a généré un produit exceptionnel entraînant des résultats bénéficiaires pour ces sociétés. Cet écart de réévaluation a été fiscalement appréhendé par les SARL compte tenu de la semi-transparence des SCI.
  • Enfin, les SARL ont procédé dès le lendemain à la dissolution des SCI avec transmission universelle de patrimoine. Cette opération qui a conduit à l’annulation des titres des SCI et à l’intégration des immeubles dans l’actif des SARL, a été traduite fiscalement par une réintégration des résultats fiscaux des SCI et une déduction d’une somme au titre de la règle dite « de la jurisprudence Quémener ».
  • Suite à la remise en cause par l’administration de la déduction pratiquée, les SARL ont obtenu la décharge des suppléments d’IS résultant des redressements  tant en première instance qu’en appel.
  • Le ministre des finances et des comptes publics s’est alors pourvu en cassation pour obtenir l’annulation de ces arrêts.  
Arrêt
Considérant que la règle de la « jurisprudence Quémener » ne peut trouver à s’appliquer que pour éviter une double imposition de la société qui réalise l’opération de dissolution, le Conseil d’Etat annule les arrêts de la cour administrative d’appel de Paris.
CE 6 juillet 2016 n°377904

Analyse
Le Conseil d’État a eu récemment l’occasion de confirmer (CE 27 juillet 2015 n°362025) que dans le cas où une société vient à retirer de l’actif de son bilan, à la suite d’une cession ou de la dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine (TUP), les parts qu’elle détenait jusqu’alors dans une société dite « semi-transparente », le résultat de l’opération doit être calculé, en retenant comme prix de revient de ces parts leur valeur d’acquisition retraitée comme suit :
  • augmentée de la quote-part des bénéfices de cette société revenant à l’associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d’application du régime visé ci-dessus,
  • augmentée des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société et ayant donné lieu de la part de l’associé à un versement en vue de les combler,
  • minorée des déficits que l’associé a déduits pendant cette même période, à l’exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif,
  •  minorée des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société et ayant donné lieu à répartition au profit de l’associé.
  • L’affaire jugée était quelque peu différente car les bénéfices constatés lors de la réévaluation des actifs n’avaient pas été imposés en raison d’une convention fiscale. Le conseil d’Etat vient préciser par le présent arrêt que cette règle qui a pour objet d’assurer la neutralité de la loi fiscale, ne trouve à s’appliquer à la quote-part des bénéfices revenant à l’associé et résultant d’une réévaluation des actifs sociaux que pour éviter une double imposition de la société qui réalise l’opération de dissolution. Il a par conséquent refusé l’application de l’augmentation du prix de revient des parts.
  • Compte tenu de cette précision apportée, on peut légitimement s’interroger sur l’application de la règle pour les cession ou annulation de parts de SCI qui interviendraient postérieurement à une cession d’un bien immobilier dont la plus-value a bénéficié d’une exonération (que ce soit pour délai de détention ou pour tout autre raison). D’autant plus qu’une Cour administrative d’appel a rendu un arrêt dans ce sens, estimant que « pour déterminer le montant de la plus-value réalisée lors de la cession de parts d'une société immobilière translucide, il n'y a pas lieu de majorer le prix d'acquisition des parts de la plus-value immobilière réalisée par la société dès lors que celle-ci n'a pas été imposée compte tenu de la durée de détention du bien ». (CAA Nancy 5 mars 2015, n° 14NC00122).
  • En ce qui concerne les plus-values sur parts sociales réalisées par les associés exerçant leur activité professionnelle dans la société, qui relèvent du régime des plus-values professionnelles, l’administration fiscale admet que leur prix d’acquisition soit retraité des bénéfices réalisés par la société même si ceux-ci ont bénéficié d’une exonération au titre de l’article 151 septies du CGI (BOI-BIC-PVMV-40-10-10-30, n° 40). Il en est de même pour les bénéfices réalisés par la société qui ont bénéficié de l’exonération au titre de l’article 238 Quindecies du CGI (BOI-BIC-PVMV-40-20-50, n°410). Par conséquent, les associés concernés peuvent appliquer la jurisprudence Quémener tant que l’administration ne modifie pas sa doctrine.