vendredi 13 septembre 2019

IMPOSITION DES FRANÇAIS DE L'ETRANGER UNE BOMBE FISCALE




L'imposition des Français de l'étranger, la nouvelle bombe fiscale à retardement
L'alignement de la fiscalité des non-résidents sur celle des résidents français, voulue par le gouvernement, se traduit par des effets collatéraux mal anticipés. Certains transfrontaliers craignent une flambée de leurs impôts.
La refonte de la fiscalité des non-résidents, défendue par la députée Anne Genetet, crée des effets de bord mal mesurés lors du vote à l'Assemblée.
C'est un fonctionnaire français, résident en Belgique mais travaillant en France, dont l'impôt serait multiplié par deux en 2020. Pour son collègue habitué de la navette Bruxelles-Lille, dont le conjoint dispose de confortables revenus en Belgique, la facture fiscale serait triplée. Quant à ce couple de retraités, résidents en Amérique du Nord, mais percevant une pension française, son imposition pourrait enfler de plus de 60 %… Depuis la  refonte de la fiscalité des non-résidents dans la dernière loi de finances , les Français de l'étranger ont sorti leur calculatrice. Les nouvelles règles, qui devraient entrer en vigueur en 2020, s'avéreraient très défavorables pour certains d'entre eux.
Une nouvelle bombe fiscale pour le gouvernement ? Ce n'était pas la logique initiale de cette réforme, présentée l'an dernier comme une mesure de justice et de simplification. « Le principe, c'est de faire converger l'imposition des non-résidents sur celle des résidents français, explique Anne Genetet (LREM), députée des Français de l'étranger, à l'origine des amendements qui ont mis le feu aux poudres. Aujourd'hui, les règles pour les non-résidents sont d'une telle complexité que les services fiscaux sont submergés par les appels. »
AdChoices
PUBLICITÉ
Effets de bord
Sauf que les nouvelles règles créent des effets de bord mal mesurés lors du vote à l'Assemblée, faute d'étude d'impact détaillée. Pour bien comprendre, il faut savoir que salaires et pensions français des non-résidents sont, à l'heure actuelle, frappés par une retenue à la source (de 0 %, 12 %, ou 20 %) dont le barème est, jusqu'à 43.000 euros de revenus annuels, souvent plus avantageux que le barème de l'impôt des résidents français (avec ses tranches à 14 %, 30 %, 41 %, 45 %).


L'imposition des non-résidents, une mécanique complexe
Les salaires et pensions de source française perçus par les non-résidents sont taxés selon des règles complexes. A l'heure actuelle, ces revenus sont frappés d'une retenue à la source (de 0 % jusqu'à 14.839 euros, de 12 % entre 14.839 et 43.047 euros et de 20 % au-delà). Pour les revenus supérieurs à 43.047 euros, les contribuables doivent ensuite s'acquitter du reliquat d'impôt sur le revenu calculé selon le barème progressif des résidents (avec ses tranches à 30 %, 41 %, 45 %). Le foyer établi à l'étranger peut demander l'application d'un taux moyen si l'ensemble de ses revenus mondiaux le place dans une tranche d'imposition inférieure à 20 %. Cette démarche, méconnue de beaucoup de contribuables, est souvent source de contentieux avec l'administration. Voilà pourquoi les parlementaires ont voulu refondre les règles en loi de finances.
A compter de 2020, cette retenue à la source serait supprimée. Au lieu de cela, les revenus de source française seraient taxés à 20 % dès le premier euro, puis à 30 % au-delà de 27.520 euros de revenus annuels. Les contribuables qui le souhaitent pourraient opter pour une imposition au « taux moyen ». Ce taux sera calculé sur la base des revenus mondiaux. Ils devront donc déclarer l'ensemble de leurs revenus. « L'avantage du taux moyen est qu'il permet d'appliquer un barème progressif et de prendre en compte la situation familiale », explique Anne Genetet.
Impôts multipliés par deux ou par trois
Mais certains foyers pourraient se retrouver très pénalisés, même s'ils optent pour le taux moyen. En première ligne : ceux qui n'ont pas ou plus de charges de famille, comme des retraités résidents à l'étranger ou de jeunes travailleurs frontaliers. « Certains d'entre nous vont voir leurs impôts multipliés par deux ou par trois. Cela va mettre en grande difficulté des familles sur leur projet de vie », témoigne Julien Kounowski, représentant des « navetteurs » entre Bruxelles et Lille. Mobilisés sur les réseaux sociaux, ces transfrontaliers ont alerté les parlementaires tous azimuts pour les sensibiliser à leur situation.
AdChoices
PUBLICITÉ
« J'entends que cela puisse perturber certains équilibres familiaux et nous sommes ouverts à des ajustements », réagit Anne Genetet, face à cette bronca. Pieyre-Alexandre Anglade (LREM), député représentant les Français du Benelux, reconnaît que « la réforme n'est pas achevée ». « La finalité n'est pas d'imposer davantage, mais de simplifier », insiste-t-il.
Aligner la fiscalité des non-résidents
Le projet de loi de finances, présenté le 25 septembre, devrait comprendre une disposition technique concernant les non-résidents, que les parlementaires pourront compléter par des amendements. « Si l'objectif du gouvernement est bien d'aligner la fiscalité des non-résidents sur celle des résidents, il faut aller au bout de cette logique dans le projet de loi de finances 2020 », abonde Magda Yasumoto, avocate associée du cabinet Deloitte Taj.

mercredi 11 septembre 2019

CESSION ACTIF CIRCULANT A PRIX MINORE PREUVE DE L’ANORMALITÉ


Cession d’un actif circulant à prix minoré : preuve de l’anormalité
Pour démontrer l’anormalité d’une cession à bas prix d’un actif circulant, l’administration doit établir l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente mais également l’intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt.


1 S’appauvrir volontairement à des fins étrangères à son intérêt constitue un acte anormal de gestion. Que l’appauvrissement résulte d’une cession à prix minoré d’un élément de l’actif circulant d’une entreprise ou de son actif immobilisé, le Conseil d’Etat retient la même définition de l’acte anormal de gestion.
La démonstration de l’anormalité d’un tel appauvrissement relève toutefois de règles différentes. Le Conseil d’Etat vient en effet de juger, s’agissant d’une cession d’un actif circulant, qu’il appartient, en règle générale, à l’administration d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
Les règles de preuve simplifiées en cas de cession d’un actif immobilisé ne sont pas transposables
2 Les faits à l’origine du litige étaient les suivants. Une société exerçant une activité de marchand de biens avait acquis une villa moyennant un prix de 2,5 M€ revendue six mois plus tard au prix de 3 M€.
Estimant la valeur vénale du bien cédé à 4 M€, l’administration a constaté une minoration du prix de vente constitutive d’un acte anormal de gestion.
La cour administrative d’appel de Marseille a validé l’analyse de l’administration en se fondant sur la seule circonstance que le prix de vente était significativement inférieur à la valeur vénale du bien cédé, sans que la société n’établisse avoir bénéficié en retour d’une contrepartie (CAA Marseille 19-12-2017 n° 16MA02931).
3 Pour la cour, l’insuffisance significative de prix fait présumer le caractère anormal de la vente. Elle transfère ainsi à l’entreprise la charge de la preuve, et ce – comme le relève le rapporteur public, Romain Victor, dans ses conclusions – même en l’absence de communauté d’intérêts avec l’acquéreur.
Une telle présomption a été solennellement admise par le Conseil d’Etat, dans sa décision Société Croë Suisse, s’agissant d’une cession à prix minoré d’un actif immobilisé (CE plén. 21-12-2018 n° 402006 : voir La Quotidienne du 5 février 2019). Il a en effet jugé qu’en démontrant l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale d’un actif immobilisé et son prix de cession, l’administration établit le caractère anormal de la transaction de façon suffisante. Il appartient ensuite à l’entreprise de renverser cette présomption en justifiant que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans son intérêt, soit que l’entreprise se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.
La démonstration par l’administration de l’existence d’un acte anormal de gestion en présence d’une cession à bas prix d’un actif immobilisé se trouve donc facilitée.
La nature distincte de l’actif immobilisé et de l’actif circulant…
La spécificité de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 juin 2019 réside dans la nature du bien cédé à un prix minoré. En l’espèce, l’activité de l’entreprise consiste en l’achat-revente de biens immobiliers. Il ne s’agit donc pas de la cession d’un élément de l’actif immobilisé, mais de la cession d’un élément de l’actif circulant. La question inédite soulevée devant le Conseil d’Etat porte en conséquence sur le point de savoir si la preuve d’un acte anormal de gestion doit également être simplifiée pour les cessions à prix minoré d’éléments de l’actif circulant.
À noter La Haute Juridiction a déjà été saisie d’un litige concernant une cession à prix minoré d’un lot d’un ensemble immobilier par un marchand de biens (CE 27-2-2019 n° 401938 : voir La Quotidienne du 12 avril 2019). Mais l’arrêt de la cour administrative d’appel avait été censuré sur le terrain de l’inexacte qualification juridique des faits, la société faisant valoir que ce lot n’avait pas été vendu dans le même état d’achèvement que les autres lots pris comme termes de comparaison. La question de droit posée par le présent litige n’avait donc pas été tranchée.
Dans ses conclusions, Romain Victor souligne qu’il y a lieu d’être plus circonspect lorsque l’entreprise se défait d’un élément de son patrimoine pour un prix minoré qu’en présence d’une cession à bas prix d’un élément de son stock, qui constitue une opération plus courante.
À noter Le rapporteur public, Aurélie Bretonneau, se prononçant sur la portée de la décision Société Croë Suisse, avait également relevé que « la cession d’un actif immobilisé ne revêt pas le caractère d’une opération courante, puisqu’elle consiste à se départir d’un actif initialement destiné à rester durablement dans l’entreprise et qu’effectuée à mauvais prix elle emporte un appauvrissement structurel de cette dernière ». Or, la revente à moindre prix par un marchand de biens d’un élément de l’actif circulant peut s’avérer préférable pour diverses raisons. Romain Victor rappelle, à cet égard, que la propriété, même temporaire, d’un immeuble, entraîne d’inévitables dépenses, qu’un immeuble inoccupé durablement perd de sa valeur sans entretien ni travaux ou encore qu’une revente tardive est susceptible de faire perdre le bénéfice du droit à l’exonération des droits de mutation prévue à l’article 1115 du CGI.
… justifie l’application de règles de preuve divergentes
Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat refuse de transposer à la cession d’éléments de l’actif circulant le critère simplificateur de l’acte anormal de gestion dégagé en cas de cession d’un élément de l’actif immobilisé. Il maintient donc son ancienne jurisprudence selon laquelle il incombe à l’administration d’apporter la preuve :
- d’une part, que l’opération n’a pas été réalisée dans l’intérêt de l’entreprise, c’est-à-dire l’existence d’un écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente (critère objectif) ;
- et, d’autre part, que l’auteur de l’acte a intentionnellement agi contre l’intérêt de l’entreprise (critère subjectif).
Dans cette situation, l’administration doit donc démontrer l’intention du cédant de consentir une libéralité au cessionnaire, à la différence des cessions d’éléments de l’actif immobilisé pour lesquelles l’administration a été expressément déchargée de cette preuve par le Conseil d’Etat (CE 6-2-2019 n° 410248).
La présente décision précise la portée de la décision Société Croë Suisse, qui se trouve cantonnée aux cessions d’éléments de l’actif immobilisé.
Ainsi que l’explicite Romain Victor, la transposition de la jurisprudence Société Croë Suisse aux cessions d’éléments de l’actif circulant reviendrait en pratique à reprocher à l’entreprise de ne pas avoir tiré le maximum de profit que les circonstances auraient pu lui permettre de réaliser, ce qui constituerait une atteinte au principe de non-immixtion dans la gestion de l’entreprise. On relèvera à cet égard que la Haute Juridiction rappelle, dans sa décision, le principe selon lequel l’administration n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise.
En l’espèce, la société soutenait que le prix de vente pratiqué lui avait permis de réaliser à bref délai une marge commerciale de 20 %. Il appartiendra donc à la cour administrative d’appel de Marseille, dans le cadre du renvoi de cette affaire, d’apprécier si l’administration apporte, au titre du critère subjectif, des éléments établissant que la société a intentionnellement agi contre son intérêt.
CE 8e-3e ch. 4-6-2019 n° 418357
© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne