Sans entrer dans des détails déjà bien exposés, la réforme consacre un
nouveau mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu. Celui-ci ne sera en
théorie plus prélevé sur les revenus de l’année prcédente, comme aujourd’hui,
mais sur ses revenus de l’année en cours.
La réforme était ainsi supposée résoudre la question des 7 millions de
personnes qui voient leurs revenus fluctuer de plus de 30 % dans l’année, et
pour lesquelles l’impôt sur le revenu ne s’adapte pas.
Tous concernés par la réforme
Si le contribuable est salarié, c’est son employeur qui sera chargé de
prélever l’impôt sur le revenu et de le reverser à l’administration fiscale ;
si il est retraité, c’est la caisse de retraite qui s’en chargera ; si il est
demandeur d’emploi, Pôle Emploi assumera le rôle ; pour les professions
indépendantes – pour lesquelles les revenus concernés par l’IR sont les
Bénéfices Industriels et Commerciaux ou les Bénéfices Non Commerciaux ou
les revenus fonciers – c’est l’administration fiscale qui prélèvera à la
source.
Bercy va donc désormais devoir gérer quatre formes de prélèvements :
- à la source pour les salaires
- forfaitaire pour les revenus des
placements
- par acompte pour les revenus
fonciers et indépendants
- décalé pour les revenus
exceptionnels
Dans la plupart des cas donc, l’employeur devient le collecteur de l’impôt
sur le revenu en lieu et place de l’administration fiscale.
C’est par la DSN (Déclaration Sociale Nominative) qu’il utilise déjà pour
déclarer toutes ses charges sociales que l’employeur transmettra désormais à
l’administration fiscale le salaire net imposable de l’employé. En retour, la
DGFIP lui communiquera le taux de prélèvement à appliquer sur le salaire net.
En fonction des déclarations transmises par l’employeur, le taux de prélèvement
pourra donc être actualisé par l’administration fiscale en cours d’année
lorsque la situation personnelle du salarié évolue.
Une transition complexe
La phase de transition d’une année est d’une complexité sans égale.
L’an prochain, les contribuables devront établir une déclaration de leurs
revenus 2018. C’est sur la base de cette déclaration que l’administration
fiscale calculera en réalité deux impôts :
- Un impôt sur l’ensemble de leurs revenus 2018
- Un impôt sur les revenus non exceptionnels qui sera déduit du premier.
C’est le fameux Crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (CIMR),
destiné à neutraliser les revenus 2018 pour l’année de transition, mais
uniquement les revenus habituels.
Si l’on peut comprendre que ces revenus seront, par exemple, les
traitements, salaires, revenus fonciers, BNC et BIC, à quoi peuvent bien
correspondre les revenus exceptionnels ? Les textes se contentent d’identifier
« tout revenu qui, par nature, n’est pas susceptible d’être recueilli
annuellement ». L’administration fiscale n’est pas sortie de
l’auberge, et l’ordre des experts-comptables indique déjà que l’incompréhension
de l’impact fiscal de cette « année blanche »
pourrait avoir des répercussions importantes sur certaines branches
professionnelles.
Le prélèvement n’est pas la mensualisation
À partir de sa mise en place, le paiement de l’impôt sera désormais mensuel
de façon à supprimer le décalage entre le moment où les revenus sont encaissés
et le moment où l’impôt est payé. Cette formule fait dire à certains que le
prélèvement à la source ressemblerait alors à la mensualisation déjà adoptée
par des millions de Français.
Il ne faut pas s’y méprendre. En réalité, il n’en est rien : la base
de calcul du nouveau système est complètement différente. Jusqu’à aujourd’hui,
l’impôt sur le revenu est calculé sur la base des revenus desquels sont
soustraites les charges déductibles. A contrario, le nouveau prélèvement
à la source calculera l’impôt avant réductions.
Les contribuables devront donc avancer l’argent de ces réductions fiscales
(crédits d’impôts, niches fiscales, avantages fiscaux de toute nature) dont ils
peuvent normalement bénéficier, et cette situation durera 9 mois de l’année,
avant que l’administration ne régule la situation en virant le montant des
réductions d’impôts sur les comptes des contribuables.
Rien de plus simple non plus pour les travailleurs indépendants : ils
s’acquitteront de leur impôt par acomptes mensuels ou trimestriels qui seront
calculés sur leur situation passée. Ils seront donc prélevés automatiquement
par l’administration fiscale qui actualisera éventuellement les montants sur
leur demande en cas de variation des revenus.
Bercy a ensuite concocté un véritable mic mac : si les bénéfices 2019 des
indépendants sont supérieurs à ceux de 2015, 2016 et 2017, la différence leur
sera imposée. Puis, pour répondre à la critique, une contre-mesure prévoit
désormais que l’impôt qui aura été alors encaissé sera restitué en 2020 si les
bénéfices 2019 sont supérieurs à ceux de 2018.
Une exception européenne
Il suffit de se plonger dans le calcul du taux de prélèvement pour se
rendre compte de la complexité de la réforme.
La déclaration annuelle n’est pas supprimée, les contribuables devront
toujours la produire. En effet, le taux global d’imposition du contribuable –
qui sera donc ensuite retenu à la source – sera toujours calculé à partir de la
déclaration des revenus de l’année précédente.
Cette déclaration des revenus concernera toujours l’entier foyer fiscal, en
tenant compte comme aujourd’hui de la situation familiale du contribuable : on
lui applique un taux personnalisé. L’impôt sur le revenu ne devient donc pas
individuel, la France constituant à cet égard une exception européenne :
intégrer un mode de prélèvement individuel à partir d’un système d’imposition
familial…
Bien évidemment, le maintien du système en l’état implique la transmission
des informations de l’ensemble du foyer fiscal au tiers payeur. En principe
donc, l’employeur pourra donc connaître le niveau de revenus global du foyer
fiscal du salarié concerné ; ce qui soulève des questions de
confidentialité et de respect du droit à la vie privée déjà largement
commentés.
Pour ne pas communiquer à son employeur d’éventuels revenus annexes
personnels ou complémentaires du foyer, le salarié pourra opter pour un taux
neutre qui sera déterminé uniquement sur la base du salaire net versé. Ainsi
l’employeur ne pourra pas connaître le taux réel d’imposition du salarié, mais
en retour, celui-ci sera soumis à des démarches supplémentaires puisqu’il devra
lui-même verser chaque mois un complément d’impôt directement au fisc.
Les couples normalement soumis à une imposition commune et qui auraient dû
se voir appliquer le même taux de prélèvement auront par ailleurs le choix d’un
taux individualisé pour leurs revenus personnels. Mais là encore, le système se
complique puisque les revenus communs du couple resteront soumis au taux
personnalisé.
Dans le cas d’un couple imposé en commun, trois taux différents peuvent
donc venir se chevaucher ou alterner : le taux personnalisé calculé sur les
revenus de l’ensemble du foyer, le taux non personnalisé calculé en fonction de
leurs seuls salaires, le taux individualisé calculé sur leurs revenus
respectifs : un véritable embrouillamini, que les contribuables ont
jusqu’au 15 septembre prochain pour tenter de comprendre !
Pour les entreprises qui deviennent tiers payeurs, aucune chance que la
mesure soit neutre, leurs craintes sont justifiées :
surcoûts liés à la gestion du personnel, à la surcharge de travail, aux tarifs
des experts comptables, responsabilité quant aux interrogations des salariés et
aux cas complexes (employés travaillant à l’étranger…). Les difficultés
techniques risquent d’être insupportables pour nombre d’entre elles.
Les TPE et les PME en première ligne
Alors qu’elles doivent déjà digérer les quelques 30 décrets des ordonnances
travail et le nouveau Règlement Général européen
sur la Protection des Données, ce sont encore une fois les TPE et
les PME qui subiront davantage le prix de cette nouvelle réforme : entre
26 et 50 € en moyenne par salarié, cinq fois le coût assumé par les grandes
entreprises.
Comme le souligne l’ordre des experts-comptables, les PME ne pourront,
seules, mettre en œuvre ce prélèvement à la source, elles devront être encore
davantage accompagnées mais aucune mesure de compensation de ces surcoûts n’est
prévue !
Il ne faut pas oublier les bugs informatiques attendus (le
fisc devra parvenir à connecter à temps les systèmes de paie des entreprises,
des régimes de retraites et des collectivités locales en même temps) et les
surcoûts pour l’administration : le prélèvement à la source génèrera une très forte mobilisation du
personnel de Bercy pendant plusieurs années, des investissements de
toutes sortes déjà estimés à 140 M€.
Et pour les contribuables ? Le risque est grand de comprendre encore
moins l’imposition de leurs revenus et de se sentir lésés.
Il fallait donc réformer en profondeur l’impôt sur le
revenu avant de s’attaquer à ses modalités de recouvrement !
Sans cela, le prélèvement à la source complexifie encore davantage le système
et écarte un peu plus les contribuables de l’acceptation de l’impôt.