lundi 10 septembre 2018

LE PRÉLÈVEMENT A LA SOURCE : LONG FLEUVE TRANQUILLE ???

Emmanuel Macron a tranché : la réforme du prélèvement à la source entrera bien en vigueur au 1er janvier 2019.
Nombreuses sont pourtant les voix, y compris celles des professionnels, qui se sont élevées contre cette réforme qui devrait entraîner avec elle un lot de complications énormes pour les contribuables et les entreprises, s’accompagner de dysfonctionnements techniques et administratifs : les experts-comptables ont alerté le Ministre Gérald Darmanin.
Sans entrer dans des détails déjà bien exposés, la réforme consacre un nouveau mode de recouvrement de l’impôt sur le revenu. Celui-ci ne sera en théorie plus prélevé sur les revenus de l’année prcédente, comme aujourd’hui, mais sur ses revenus de l’année en cours.
La réforme était ainsi supposée résoudre la question des 7 millions de personnes qui voient leurs revenus fluctuer de plus de 30 % dans l’année, et pour lesquelles l’impôt sur le revenu ne s’adapte pas.
Tous concernés par la réforme
Que l’on ne s’y trompe pas, tous les revenus compris dans l’assiette de l’impôt sur le revenu sont concernés par la réforme. En fonction de leur nature, ils feront désormais intervenir un tiers payeur pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu.
Si le contribuable est salarié, c’est son employeur qui sera chargé de prélever l’impôt sur le revenu et de le reverser à l’administration fiscale ; si il est retraité, c’est la caisse de retraite qui s’en chargera ; si il est demandeur d’emploi, Pôle Emploi assumera le rôle ; pour les professions indépendantes – pour lesquelles les revenus concernés par l’IR sont les Bénéfices Industriels et Commerciaux ou les Bénéfices Non Commerciaux ou les revenus fonciers – c’est l’administration fiscale qui prélèvera à la source.
Bercy va donc désormais devoir gérer quatre formes de prélèvements :
  • à la source pour les salaires
  • forfaitaire pour les revenus des placements
  • par acompte pour les revenus fonciers et indépendants
  • décalé pour les revenus exceptionnels
Dans la plupart des cas donc, l’employeur devient le collecteur de l’impôt sur le revenu en lieu et place de l’administration fiscale.
C’est par la DSN (Déclaration Sociale Nominative) qu’il utilise déjà pour déclarer toutes ses charges sociales que l’employeur transmettra désormais à l’administration fiscale le salaire net imposable de l’employé. En retour, la DGFIP lui communiquera le taux de prélèvement à appliquer sur le salaire net. En fonction des déclarations transmises par l’employeur, le taux de prélèvement pourra donc être actualisé par l’administration fiscale en cours d’année lorsque la situation personnelle du salarié évolue.
Une transition complexe
La phase de transition d’une année est d’une complexité sans égale.
L’an prochain, les contribuables devront établir une déclaration de leurs revenus 2018. C’est sur la base de cette déclaration que l’administration fiscale calculera en réalité deux impôts :
  • Un impôt sur l’ensemble de leurs revenus 2018
  • Un impôt sur les revenus non exceptionnels qui sera déduit du premier. C’est le fameux Crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (CIMR), destiné à neutraliser les revenus 2018 pour l’année de transition, mais uniquement les revenus habituels.
Si l’on peut comprendre que ces revenus seront, par exemple, les traitements, salaires, revenus fonciers, BNC et BIC, à quoi peuvent bien correspondre les revenus exceptionnels ? Les textes se contentent d’identifier « tout revenu qui, par nature, n’est pas susceptible d’être recueilli annuellement ». L’administration fiscale n’est pas sortie de l’auberge, et l’ordre des experts-comptables indique déjà que l’incompréhension de l’impact fiscal de cette « année blanche » pourrait avoir des répercussions importantes sur certaines branches professionnelles.
Le prélèvement n’est pas la mensualisation
À partir de sa mise en place, le paiement de l’impôt sera désormais mensuel de façon à supprimer le décalage entre le moment où les revenus sont encaissés et le moment où l’impôt est payé. Cette formule fait dire à certains que le prélèvement à la source ressemblerait alors à la mensualisation déjà adoptée par des millions de Français.
Il ne faut pas s’y méprendre. En réalité, il n’en est rien : la base de calcul du nouveau système est complètement différente. Jusqu’à aujourd’hui, l’impôt sur le revenu est calculé sur la base des revenus desquels sont soustraites les charges déductibles. A contrario, le nouveau prélèvement à la source calculera l’impôt avant réductions.
Les contribuables devront donc avancer l’argent de ces réductions fiscales (crédits d’impôts, niches fiscales, avantages fiscaux de toute nature) dont ils peuvent normalement bénéficier, et cette situation durera 9 mois de l’année, avant que l’administration ne régule la situation en virant le montant des réductions d’impôts sur les comptes des contribuables.
Rien de plus simple non plus pour les travailleurs indépendants : ils s’acquitteront de leur impôt par acomptes mensuels ou trimestriels qui seront calculés sur leur situation passée. Ils seront donc prélevés automatiquement par l’administration fiscale qui actualisera éventuellement les montants sur leur demande en cas de variation des revenus.
Bercy a ensuite concocté un véritable mic mac : si les bénéfices 2019 des indépendants sont supérieurs à ceux de 2015, 2016 et 2017, la différence leur sera imposée. Puis, pour répondre à la critique, une contre-mesure prévoit désormais que l’impôt qui aura été alors encaissé sera restitué en 2020 si les bénéfices 2019 sont supérieurs à ceux de 2018.
Une exception européenne
Il suffit de se plonger dans le calcul du taux de prélèvement pour se rendre compte de la complexité de la réforme.
La déclaration annuelle n’est pas supprimée, les contribuables devront toujours la produire. En effet, le taux global d’imposition du contribuable – qui sera donc ensuite retenu à la source – sera toujours calculé à partir de la déclaration des revenus de l’année précédente.
Cette déclaration des revenus concernera toujours l’entier foyer fiscal, en tenant compte comme aujourd’hui de la situation familiale du contribuable : on lui applique un taux personnalisé. L’impôt sur le revenu ne devient donc pas individuel, la France constituant à cet égard une exception européenne : intégrer un mode de prélèvement individuel à partir d’un système d’imposition familial…
Bien évidemment, le maintien du système en l’état implique la transmission des informations de l’ensemble du foyer fiscal au tiers payeur. En principe donc, l’employeur pourra donc connaître le niveau de revenus global du foyer fiscal du salarié concerné ; ce qui soulève des questions de confidentialité et de respect du droit à la vie privée déjà largement commentés.
Pour ne pas communiquer à son employeur d’éventuels revenus annexes personnels ou complémentaires du foyer, le salarié pourra opter pour un taux neutre qui sera déterminé uniquement sur la base du salaire net versé. Ainsi l’employeur ne pourra pas connaître le taux réel d’imposition du salarié, mais en retour, celui-ci sera soumis à des démarches supplémentaires puisqu’il devra lui-même verser chaque mois un complément d’impôt directement au fisc.
Les couples normalement soumis à une imposition commune et qui auraient dû se voir appliquer le même taux de prélèvement auront par ailleurs le choix d’un taux individualisé pour leurs revenus personnels. Mais là encore, le système se complique puisque les revenus communs du couple resteront soumis au taux personnalisé.
Dans le cas d’un couple imposé en commun, trois taux différents peuvent donc venir se chevaucher ou alterner : le taux personnalisé calculé sur les revenus de l’ensemble du foyer, le taux non personnalisé calculé en fonction de leurs seuls salaires, le taux individualisé calculé sur leurs revenus respectifs : un véritable embrouillamini, que les contribuables ont jusqu’au 15 septembre prochain pour tenter de comprendre !
Pour les entreprises qui deviennent tiers payeurs, aucune chance que la mesure soit neutre, leurs craintes sont justifiées : surcoûts liés à la gestion du personnel, à la surcharge de travail, aux tarifs des experts comptables, responsabilité quant aux interrogations des salariés et aux cas complexes (employés travaillant à l’étranger…). Les difficultés techniques risquent d’être insupportables pour nombre d’entre elles.
Les TPE et les PME en première ligne
Alors qu’elles doivent déjà digérer les quelques 30 décrets des ordonnances travail et le nouveau Règlement Général européen sur la Protection des Données, ce sont encore une fois les TPE et les PME qui subiront davantage le prix de cette nouvelle réforme : entre 26 et 50 € en moyenne par salarié, cinq fois le coût assumé par les grandes entreprises.
Comme le souligne l’ordre des experts-comptables, les PME ne pourront, seules, mettre en œuvre ce prélèvement à la source, elles devront être encore davantage accompagnées mais aucune mesure de compensation de ces surcoûts n’est prévue !
Il ne faut pas oublier les bugs informatiques attendus (le fisc devra parvenir à connecter à temps les systèmes de paie des entreprises, des régimes de retraites et des collectivités locales en même temps) et les surcoûts pour l’administration : le prélèvement à la source génèrera une très forte mobilisation du personnel de Bercy pendant plusieurs années, des investissements de toutes sortes déjà estimés à 140 M€.
Et pour les contribuables ? Le risque est grand de comprendre encore moins l’imposition de leurs revenus et de se sentir lésés.
Encore une fois, le problème a été pris à l’envers : l’impôt sur le revenu français est le plus complexe d’Europe, il est devenu illisible et pire, il est injuste car ne concerne plus que 46% des Français.
Il fallait donc réformer en profondeur l’impôt sur le revenu avant de s’attaquer à ses modalités de recouvrement ! Sans cela, le prélèvement à la source complexifie encore davantage le système et écarte un peu plus les contribuables de l’acceptation de l’impôt.